Le Casseur d'os   Vol 4 - 2004, pp. 141-146

 

 

 

 

 

Suivi de la reproduction de l'Aigle royal Aquila chrysaetos

 

sur le département des Pyrénées-Atlantiques :

 

présentation et bilan pour l'année 2004

 

 

 

                                                                                  Stephane HOMMEAU

 

 

Résumé: Avec quatorze couples d'Aigles royaux Aquila chrysaetos recensés et installés durablement sur des territoires aujourd'hui bien cernés, nous pouvons estimer que la répartition de ce rapace dans les Pyrénées -Atlantiques est désormais bien connue. L'année 2004 ne restera pas dans les annales comme étant une très bonne année. Avec trois jeunes à l'envol pour neuf couples suivis, le seul fait marquant restera l'élevage de deux aiglons issus d'un même nid et arrivant jusqu'à l'envol.

 

Introduction

Inscrit à l'annexe I de la Directive Oiseaux ainsi qu'à l'annexe II de la Convention de berne, l'Aigle royal Aquila Chrysaetos est considéré comme rare sur l'ensemble de son aire de distribution européenne. Il est également inscrit sur la liste rouge des espèces menacées en France ( Rocamora & Yeatman-Berthelot,1999). L'effectif métropolitain est évalué à 390/450 couples (Thiollay & Bretagnolles, 2004). Sédentaires, les couples adultes donnent naissance à des jeunes (un à deux par couples) dont le comportement erratique peut les amener dans les départements des Landes (40) ou de Gers (32). Néanmoins victime de l'éradication systématique pratiquée à l'égard des super-prédateurs en plaine, il ne se reproduit plus que dans les massifs montagneux. Dans le bassin de l'Adour, l'espèce est ainsi bien représentée sur les reliefs pyrénéens. Cependant jusqu'à ce jour, l'ensemble des connaissances concernant la nidification de ce rapace remarquable n'avait jamais été rassemblé et publié (excepté les bilans de reproduction présentés chaque année dans les "Notes d'Ornithologie Pyrénéenne" du Casseur d'os). L'objectif de cette publication est donc de présenter l'intégralité des sites suivis dans les Pyrénées-Atlantiques et ainsi de connaître l'effectif reproducteur, mais aussi de commencer à appréhender les causes des échecs de reproduction. Enfin ce premier travail permettra d'établir un état de référence pour les années à venir.

 

Domaine de prospection

La zone d'étude est limitée au département des Pyrénées-Atlantiques. Seul l'espace montagnard a été parcouru et prospecté. Les quatre vallées béarnaises et l'ensemble des vallées du Pays basque jusqu'à la Rhune pour limite ouest on fait l'objet de recherches. Chacun de ces secteurs n'a hélas pas connu un niveau de pression d'observation identique. pour approcher de l'exhaustivité, il apparait aujourd'hui que la partie ouest du domaine de prospection mériterait dans l'avenir quelques efforts de recherches supplémentaires.

 

Méthode

Depuis sept ans, la montagne est ainsi parcourue du mois de février au mois de Juillet. Ces suivis ornithologiques sont organisés sous la forme de prospections collectives et/ou individuelles. Le matériel optique utilisé est généralement de deux types: jumelles ( grandissement 8x ou 10x) et lunette terrestre (munies d'oculaires 30x ou zoom 20-60x). Plusieurs sorties de groupe ont bénéficié de facilité  de communication avec l'apport de radiotéléphones. Enfin, depuis quatre  années, l'ensemble des données de terrain recueillies est corrélé avec les informations contenues dans la base de données du G.O.P.A.

 

Relief

Alternant entre les marnes argileuses et les grès, les collines du Pays Basque laissent progressivement leur place aux premiers véritables contreforts gneissiques pyrénéens. Les reliefs ainsi dessinés de la Rhune (900m.) au pic d'Iparla (1044m.), présentent les premières falaises susceptibles d'accueillir l'Aigle royal.

Plus à l'Est, l'érosion des calcaires forme des paysages étonnants où alternent les canyons, les reliefs karstiques (arres)  et les plus hautes montagnes (pic d'Anie 2504m.) Les vallées d'Aspe et d'Ossau présentent les mêmes orientations d'ouverture selon un axe Nord-Sud. Leurs chainons successifs composés de marnes et de calcaires définissent la largeur de chacune d'elles.

C'est dans cette zone que l'on trouve les plus fortes potentialités de nidification.

Les affleurements rocheux ne manquent pas, tout comme les sapins. Par contre, les plus hautes altitudes (pic d'Ossau, 2884m., pic de Sesques, 2605m.) tout comme les calcaires, les schistes, les grès et les autres formations rougeâtres fermant au Sud ces hautes vallées béarnaises, sont beaucoup trop exposés aux intempéries pour retenir les faveurs de l'Aigle. Le Béarn s'achève avec l'étroite vallée de Ferrières et ses alternances de synclinaux aux versants abrupts. Les potentialités d'accueil sont ici inférieures aux autres vallées béarnaises.

 

 

Climat

L'existence d'une ligne orographique montagneuse orientée d'est en ouest, d'une structure aussi importante que les Pyrénées, combinée à une influence océanique générant des perturbations atlantiques, apportent toute leur singularité au climat des Pyrénées occidentales. Ainsi la majorité des flux pluvieux proviennent du Sud-ouest, de l'Ouest ou plus rarement du nord si une influence continentale domine. Il en résulte des ondées généralement importantes pouvant durer plusieurs jours, notamment au printemps. La neige peut apparaître sur les reliefs tous les mois de l'année. Rencontrée régulièrement au dessus de 1000 mètres d'altitude jusqu'au mois de mai, elle peut descendre autour de 500 mètres si un front froid venant du Nord vient à s'installer. Ce phénomène, lorsqu'il intervient et dure jusqu'au mois d'avril et/ou de mai, peut avoir des effets catastrophiques sur la reproduction de l'Aigle royal. Inversement si des redoux (phénomène de foehn) interviennent rapidement, les rapaces peuvent supporter ces évènements climatiques soudains sans connaître de problème. Le gradient ascendant des précipitations est orienté d'est en ouest, tout come celui des températures.

 

Végétation

Avec des températures moyennes et des précipitations abondantes (de l'ordre de 160 à 190 jours par an) dont l'essentiel des valeurs maximales est enregistré au printemps, mais aussi avec des hivers alternant douceur relative et froid intense, provoquant successivement enneigement et déneigement, la végétation est abondante et diversifiée. Ainsi les peuplements de Chênes pédonculés Quercus pedonculata  et de Hêtres sylvestres Fagus sylvatica dominent aux altitudes faibles à moyennes. C'est au même niveau que domine la lande atlantique à fougères Pteris aquilina, ajoncs Ulex europaeus et bruyères Erica vagans tout comme les cultures, les prairies de fauche et les pacages. Dès que l'altitude s'élève, les bois mixtes de sapins Abies alba et de hêtres apparaissent à l'Est du pic d'Orhy. C'est aussi là que se trouvent les quartiers des granges accompagnées de leur végétation nitrophile ainsi que les pelouses à nard Nardus stricta dans les milieux humides. Si des peuplements de chênes sessiles Quercus sessiliflora et pédonculés bordent encore la hêtraie-sapinière, au dessus de 1000 mètres d'altitude ce sont les sapins qui dominent. Sur les milieux les moins humides, quelques pins sylvestres Pinus sylvesrtris persistent s'ils sont à l'abri des vents d'Ouest, tandis que les reliefs karstiques sont recouverts par des pins à crochets Pinus uncinata à l'étage subalpin. A l'étage alpin, des pelouses rares et/ou des landes rases dominent l'espace végétal. A partir de 2800 mètres d'altitude, la végétation éparse des rochers calcaires et siliceux de haute altitude compose le seul et maigre couvert végétal.

 

Ressources alimentaires

A l'ouest de la Haute-Soule, l'Aigle royal ne dispose plus que de chevreuils Capreolus capreolus, renard roux Vulpes vulpes,  micromammifères, reptiles, corvidés et autre oiseaux pour composer son régime alimentaire. Il serait intéressant de mener une étude approfondie sur ces secteurs afin de connaître au mieux les proportions de chaque proie exploitée. Le massif du pic d'Anie marque une voie de transition en matière de diversité alimentaire. Si le grand tétras tetro urogallus est présent sur le massif boisé d'Iraty, ce n'est que plus à l'ouest, dans les vallées béarnaises, que l'on trouve encore des effectifs conséquents. Le lagopède alpin lagopus mutus n'est présent qu'à partir du pic d'Anie et ne se trouve bien représenté sur les hautes altitudes qu'à l'est de ce sommet. L'Isard Rupicapra pyrenaica et la marmotte Marmota marmota sont présents à l'Anie sur leurs limites ouest de répartition. Le lièvre variable Lepus timidus, introduit dans le massif du pic d'Anie, a rapidement disparu. Le lièvre brun  L. europaeus est par contre présent à l'ouest jusqu'aux crêtes d'Issarbe. Quant à la perdrix grise Perdix perdix de souche sauvage, sa présence est attestée dès la Haute-Soule et plus à l'est. En période hivernale, l'Aigle est volontiers charognard. De manière anecdotique, il nous a été rapporté deux cas de prédation en vol sur les grues cendrées Grus grus. En conclusion, nous pouvons estimer qu'en dehors de l'extrême ouest de la chaîne, l'Aigle royal bénéficie d'importantes ressources trophiques.

 

Codification des sites et résultats obtenus

Depuis 1998, nos prospections ont abouti à la découverte de trente nids et de quatorze couples. Etant donné la sensibilité au dérangement de certains d'entre eux, nous avons choisi de coder chacun des sites. La codification proposée est limitée au Pays basque et au Béarn. Au terme de l'étude elle intégrera la Bigorre et suivra le même modèle. Au sein de chacune de ces zones géographiques (PAYS BASQUE ou BEARN), des secteurs sont numérotés. Dans un même secteur il est possible de trouver plusieurs couples. C'est pourquoi chaque couple est identifié par une lettre capitale et leurs(s) nid(s) par un chiffre romain.

 

-PAYS BASQUE, secteur1, AI

-PAYS BASQUE, secteur2, AI

-PAYS BASQUE, secteur3, AI

-PAYS BASQUE, secteur4, AI,II,III,IV,V et VI

-BEARN, secteur1, AI II et III

-BEARN, secteur2, AI et II

-BEARN, secteur2, BI II et III

-BEARN, secteur2, CI II et III

-BEARN, secteur2, DI et II

-BEARN, secteur2, EI II et III

-BEARN, secteur3, AI et II

-BEARN, secteur3, BI

-BEARN, secteur3, CI

-BEARN, secteur4, AI

 

Bien qu'ils soient fidèles à leurs sites de reproduction, six couples ne possèdent qu'un seul nid mais sans doute s'agit-il encore d'un défaut de prospection. Trois couples semblent ne posséder que deux aires. Quatre autres fréquentent trois nids alors que le dernier couple suivi en possède six. Tous les nids d'un même couple ne sont pas systématiquement rechargés chaque année et certains ne sont plus utilisés depuis plusieurs années. La plupart d'entre eux sont situés en milieu rupestre (25 sur 30). Des sapins sont utilisés pour les autres. Une aire sur six est donc localisée en milieu forestier. L'altitude moyenne de nidification est de l'ordre de 1225 mètres, avec un minimum constaté à 650 mètres et un maximum enregistré à 1900 mètres. Dans les deux cas il s'agit d'oiseaux nichant en falaise. Pour les aires rupestres on peut également remarquer qu'un nid sur trois est situé sur des falaises orientées à l'ouest. Cette proportion passe à un nid sur deux si l'on y rajoute les falaises orientées au sud-ouest et au nord-ouest. Pour les autres 22% d' entre elles sont orientées à l'est, 17% au sud et 11% au nord. Les couples reproducteurs utilisent un espace de 1450 km². Nous obtenons donc une densité de 0,97 couple pour 100 km² et une superficie moyenne pour un territoire de 104 km². La distance minimale entre deux aires occupées une même année est de cinq kilomètres alors que la distance la plus grande dépasse les trente kilomètres. Vingt-neuf nids (seules les années 2000, 2002, 2003 et 2004 ont été retenues, les années 1998, 1999 et 2001 ayant surtout été consacrées aux prospections) ont été suivis en période de reproduction. Dix neuf pontes ont été déposées et ont produit treize jeunes à l'envol. Le taux de productivité atteint le chiffre de 0,53. Nous avons pu observer à une seule reprise deux juvéniles volants issus d'un même nid.

 

Suivi de la reproduction

Pour l'année 2004, neuf sites sur les quatorze territoires ont été suivis. Deux couples ont amené trois jeunes à l'envol. Un couple ne s'est pas reproduit. Six pontes ont échoué en cours de couvaison (taux de productivité de 0,34 jeune volant par couple contrôlé). Ce bilan médiocre est inférieur à la moyenne que nous avons enregistré les années précédentes. Sans doute est-ce la conséquence désastreuse des importantes chutes de neige intervenues au printemps (lutte contre les intempéries et accessibilité aux ressources alimentaires). Par contre un couple dont l'aire est située à 1700 mètres d'altitude et orientée à l'ouest a pu amener deux aiglons jusqu'à l'envol.

 

Conclusion

Malgré nos recherches des individus erratiques peuvent malgré tout occuper des territoires déjà prospectés. En outre, il n'est pas exclu que quelques oiseaux nouvellement cantonnés nous échappent encore. C'est pourquoi nous estimons toujours possible l'installation d'un nouveau couple au Pays Basque comme celle de deux autres en Béarn. L'effectif départemental atteindrait alors un maximum de dix sept couples. Si nous comparons ce résultat à la population estimée en 1984 ( 6-7 couples pour la même zone géographique) par le Centre Régional Ornithologique Aquitaine Pyrénées dans le cadre de la réalisation de son atlas régional ( Boutet & Petit, 1987), il est trivial de conclure que la population est en expansion ( plus du double). L'augmentation de la pression d'observation et la bonne dynamique de l'espèce s'ajoutent certainement au ralentissement des destructions directes (actes de chasse) et indirectes (pesticides et autres empoisonnements) constatées ces dernières décennies. En 2005 le G.O.P.A. poursuivra ses efforts de prospection vers l'est de la chaîne pyrénéenne afin de couvrir, d'ici quelques années, l'ensemble des Pyrénées occidentales. Enfin le suivi des couples déjà connu en Pyrénées Atlantiques sera organisé sur l'ensemble des sites pour la première année.

 

Summary: With 14 pairs of Golden Eagles Aquila chrysaetos recorded we believe we now know the distribution of the species in the department of the Pyrénées-Atlantiques. 2004 has not been a good year. With three young fledged out of 9 pairs followed, the only incident of interest was the successful rearing of 2 chicks up to fledging in one eyrie.

 

Resumen: Con catorce parejas de Aguilas reales Aquila chysaetos censadas e instaladas permanentemente en territorios actualmente bien definidos, creemos que la reparticion de esta rapaz en Pyrénées-Atlantiques se conoce bien. El ano 2004 no quedara en los anales como un buen ano. Con tres jovenes a punto de iniciar el vuelo en las nueve parejas estudiadas, el unico hecho relevante sera la cria de dos aguiluchos en un mismo nido, que han llegado a la edad de iniciar el vuelo.

 

Remerciements

 

Qu'ils soient remerciés pour leur participation, leur disponibilité, leurs conseils, leurs encouragements et leur passion partagée pour ce merveilleux rapace:

C. André, S. Blanco-Castro, S.Carbonnaux, I. Caute, E. Champagne, R. Champagne, S. Duchateau, J.-J. Garcet-Lacoste, J.-L. Grangé, C. Guinchan, M. Gush, A. Guyot, G. Guyot, J. Labadie, P. Le Gay, S. Marquis, A. Nerrière, S. Peres, R. Soret, D. Soual et P. Van Dorsselaer.

Enfin il me plait de témoigner toute ma reconnaissance aux équipes successives de gardes-moniteurs du Parc National des Pyrénées de la vallée d'Aspe, avec qui des échanges permanents et constructifs dans l'intérêt et la protection des oiseaux ont toujours été possibles.

 

Bibliographie

 

J.Y. BOUTET, P. PETIT & C.R.O.A.P.,1987. Atlas des oiseaux nicheurs d'Aquitaine, 1974-1984, C.R.O.A.P., 241p.

 

CANIOT P., 1996, suivi de la reproduction de l'Aigle royal Aquila chrysaetos dans le département de l'Ariège de 1992 à 1995. Alauda 64(2) : 187-194.

 

DENDALETCHE C., 1988,Acta biologica Montana n°8, grands rapaces et corvidés des montagnes d'Europe. Editions Claude Dendaletche, 189 p.

 

ROCAMORA G. & YEATMAN-BERTHELOT D., 1999, Oiseaux menacés et à surveiller en France. Listes rouges et recherche de priorité, Populations, tendances, menaces, conservation. S.O.F. / L.P.O. , Paris. 560 p.

 

THIOLLAY J.-M. & BRETAGNOLLE V., 2004. rapaces nicheurs de France. Delachaux & Niestlé, paris. 176 p.

 

 

Stéphane Hommeau  Maison Bayerca  64400  Esquiule