Bilan d’activité du réseau Aigle Royal Ariège.

 

 

 

 

 

Voilà 5 ans que le réseau Aigle Royal Ariège collecte des données sur la population d’aigles royaux du département. Un premier bilan peut être dressé de ce début de fonctionnement pour montrer l’intérêt d’un tel réseau.

 

 

 

Synthèse des connaissances de la population d’Aigles royaux en Ariège

 

à partir de la mise en place du réseau « Aigle Royal Ariège ».

 

 

 

 

Années

 

2015

2016

2017

2018

2019

Nombre de territoires occupés par un couple

24

26

29

29

30-31

Nombre de couples nicheurs *

23

24

26

26

27

Nombre de couples nicheurs suivis

-

17

20

21

25

Nombre de jeunes à l’envol

-

7

12

4

9

 

Productivité

 

-

0,41

0,6

0,19

0,36

 

 

 

*Nombre de couples nicheurs : Seuls les couples dont une activité reproductrice a pu être observée sont comptabilisés. Les couples ayant leur territoire à cheval sur plusieurs départements ne sont comptabilisés qu’à la condition de la présence d’un site de nidification occupé l’année considérée, en Ariège.

 

 

 

Ce sont donc  une trentaine de territoires (30 ou 31) qui sont occupés par des couples d’aigles royaux en Ariège en 2019. Notre connaissance s’est donc renforcée depuis 2015  avec la découverte d’au moins 6 nouveaux territoires.

 

Sur ces territoires, on compte 27 couples nicheurs en 2019. Cependant, nous adopterons une fourchette de 26 à 28 couples nicheurs pour palier aux éventuels biais d’observation. Ce sont donc 4 nouveaux couples nicheurs qui ont été découverts depuis 2015.

 

La découverte de ces nouveaux couples ne correspond pas toujours à une installation récente de jeunes oiseaux (1 cas sur les 4) mais plus souvent à la mise à jour de nos connaissances sur cette espèce : ces couples seraient passés inaperçus jusqu’à aujourd’hui, faute de prospection.

 

Il n’est pas exclu que cette mise à jour de nos connaissances ne se poursuive pas ou que de nouveaux couples s’installent : n’hésitez donc pas à nous signaler toute observation d’aigle royal !

 

 

 

La reproduction de ces couples a pu être plus ou moins bien suivie puisque sur certains territoires, en dépit des efforts des observateurs, les sites de nidification n’ont pas toujours pu être localisés malgré l’observation des couples et de comportements liés à la reproduction : parades, accouplements, transports de matériaux… Cependant, d’années en années, le nombre de couples suivis a augmenté de 17 à 25, témoignant de l’activité des membres du réseau.

 

Au total, sur les 4 dernières années (de 2016 à 2019), 32 jeunes à l’envol ont été observés, soit une moyenne de 8 par an.

 

La productivité moyenne sur cette période a été de 0,39, c'est-à-dire une moyenne par an d’environ 4 jeunes à l’envol pour 10 couples nicheurs suivis.

 

 

 

La productivité des couples est affectée par de nombreux facteurs qu’on peut ranger en deux catégories :

 

-        Les facteurs naturels :

 

o      La qualité du territoire : sites de nidification tranquilles et abrités, proies abondantes et diversifiées, terrains de chasse suffisamment ouverts.

 

o      La compétition entre les couples pour l’accès aux meilleurs territoires et aux ressources alimentaires : quand le nombre de couples augmentent dans une région donnée, cette compétition augmente et entraîne une baisse globale de la productivité de la population. On parle alors d’une productivité dépendante de la densité de la population.

 

o      Les conditions climatiques : les printemps souvent humides du Couserans avec des périodes pluvieuses parfois prolongées peuvent être défavorables à la chasse et donc à un ravitaillement optimum garantissant la survie du poussin.

 

o      La fluctuation des populations de proies : malgré un spectre alimentaire très large lui permettant de s’adapter à toutes sortes d’environnements et de territoires, l’Aigle royal a tout de même besoin de proies suffisamment abondantes pour élever son jeune.

 

o      L’âge et donc l’expérience des couples aux niveaux de la reproduction et de la connaissance de leur territoire : les jeunes couples installés sur un nouveau territoire réussissent moins bien leurs tentatives de reproduction.

 

o      L’existence d’oiseaux non appariés en périphérie des territoires occupés : ce sont eux qui remplacent un oiseau disparu pour assurer la continuité de l’occupation d’un territoire par un couple reproducteur. Ce sont aussi ces oiseaux qui peuvent former de nouveaux couples et s’installer sur de nouveaux territoires.

 

 

 

-        Les facteurs anthropiques :

 

o      Les dérangements : l’aigle est un oiseau farouche qui a besoin de tranquillité autour de son aire. Un couple peut abandonner son aire avec l’œuf ou le poussin si le dérangement est important et même ne jamais y retourner.

 

o      Les polluants : le plomb des munitions de chasse ingérées avec des charognes, les poisons consommés par les proies (insecticides, herbicides…) affectent la santé et la fertilité des aigles même si ils ne les tuent pas directement ou immédiatement.

 

o      La destruction ou les modifications importantes des habitats : équipement de falaises pour l’escalade, enrésinement de terrains ouverts dits peu productifs, installation d’éoliennes ou de grosses infrastructures…

 

o      Les destructions directes : tir (rare) ; empoisonnement, électrocution (lignes électriques), collision (câbles…)…

 

 

 

L’évolution d’une population d’aigles royaux est donc un bon indicateur de l’évolution de la qualité des milieux naturels : elle s’autorégule en fonction de la capacité d’accueil du milieu (ressources alimentaires et disponibilité de sites de nidification) et de la densité des couples. Elle est ensuite plus ou moins affectée par les activités humaines.

 

Pour le moment, en Ariège, nous n’avons pas assez d’années de suivi pour dégager une tendance nette de l’évolution de la productivité ni la prédominance de certains facteurs dans cette évolution.

 

 

 

D’autres informations ont pu être collectées durant ces premières années de fonctionnement du réseau :

 

-        Des aires arboricoles ont été utilisées sur certains territoires, parfois avec succès, ce qui montre les facultés d’adaptation de cette espèce et sa capacité à nicher même en l’absence de falaises « intéressantes » pour elle. Des territoires dépourvus de falaises dignes de ce nom mais riches en nourriture et suffisamment tranquilles sont peut-être à prospecter avec plus d’attention : la zone du piémont recèle peut-être quelques surprises…

 

 

 

-        En 2016, une aigle juvénile d’un couple du sud du massif central (baguée et équipée d’une balise GPS) était observée par Mickaël Kaczmar au-dessus du plateau de Beille, montrant la possibilité d’échanges entre les populations du Massif Central et des Pyrénées. Cette année, c’est sa sœur née en 2018 qui est venue visiter les Pyrénées, confirmant donc les échanges entre les populations des deux massifs.

 

 

 

-        En 2019, l’aiglon « Henriette », dans un accès de gloutonnerie, exécutait un magnifique mais néanmoins prématuré plongeon dans le vide qui l’amena à fréquenter la salle d’opération de l’école vétérinaire de Toulouse et les volières de réhabilitation du Domaine des oiseaux de Mazère. Sa mésaventure permit de l’équiper d’un émetteur qui nous en a appris un peu plus sur les premiers mois d’émancipation d’un aiglon pyrénéen. Relâchée en septembre près de son territoire natal, Henriette y est retournée et y a séjournée une petite semaine. Ensuite, elle a mis cap au sud et a passé l’hiver et le début du printemps sur le versant espagnol, en Catalogne.

 

 

 

Le suivi des couples nicheurs amène également des informations plus fines sur les comportements de l’espèce.

 

Les aigles royaux élèvent un aiglon et parfois, mais rarement, deux. Il est encore plus rare de voir les deux finir par s’envoler même si nous avons déjà observé certains couples du Couserans réussir cette prouesse. Souvent, le cadet est tué et dévoré par son frère (caïnisme) ou simplement repoussé et mis à l’écart, l’aîné accaparant totalement la nourriture apportée par les adultes.

 

David Thévenet a suivi un de ces couples qui, oh surprise, a tenté d’élever 2 aiglons en 2019 ! C’est donc avec l’espoir d’observer ce si rare double envol au terme de l’élevage, que David a suivi ce couple. Malheureusement, début juillet, il a assisté à la disparition du cadet. Déjà affaibli, plus chétif, et mis à l’écart : il était à l’extérieur de l’aire ; il ne survivait plus qu’en chapardant les restes qu’avait dédaigné son frère aîné. Ce qui devait arriver arriva donc : abandonné, affamé et affaibli, le cadet disparut. Au mois d’août, toutefois, l’aîné, lui, s’envola…

 

Voici le récit « brut » de cette observation.

 

 

 

11h25 : L’aîné squatte le nid.

 

Le cadet est toujours là (YES !), à l’extérieur, sur la vire qui penche vers l’aire, un peu au-dessus du nid, plus menu que son frère.

 

11h45 à 13h09 : Les 2 aiglons se lèvent régulièrement et piaillent d’impatience en cherchant

 

          l’adulte.

 

          Le cadet fiente 2 fois (11h55 et 13h08). C’est bon signe! Il doit manger…

 

13h26 : Un adulte se pose au nid et repart aussi sec.

 

          Les 2 aiglons, excités, se lèvent et piaillent longuement.

 

          Puis le cadet se recouche.

 

14h39 : Un adulte apporte de la nourriture au nid et décortique pour l’aîné.

 

          Le cadet se lève et va piailler fortement en bord de vire.

 

          Il semble se rattraper 2 ou 3 fois mais la vire est pentue…

 

14h47 : le cadet, excité, continue de piailler fortement puis chute de la vire et tombe, comme un

 

          chiffon blanc, le long de la paroi… Il disparaît derrière les arbres.

 

          L’adulte continue de nourrir l’aîné.

 

14h50 : Quelques brefs piaillements semblent audibles.

 

          L’adulte continue de nourrir l’aîné.

 

15h07 : L’adulte et l’aîné regardent en bas, puis l’adulte s’envole.

 

          Les piaillements repartent, mais par quel aiglon?

 

          L’aîné qui en demande toujours plus ou le cadet qui vient de voir passer l’adulte?

 

15h16 : les piaillements cessent.

 

15h19 : l’aîné reste debout et fiente.

 

16h00 : l’aîné se couche. Fin des observations.

 

J’ai encore cette image du cadet blanc tombant et tournant un peu dans le vide. Bouhouhou!!!

 

Je suppose que sa seule chance de survie était de pouvoir grappiller des restes de nourriture dans le nid.

 

Chute, depuis la vire, du cadet, âgé d’environ 44-45 jours, le 6 juillet 2019 à 14h47.

 

L’aîné semble âgé de 49-50 jours.

 

 

 

 

 

Enfin, pour terminer, je voudrais remercier tous les membres de ce réseau Aigle Royal Ariège, venant de structures différentes (ANA, NEO, ONF, LPO, indépendants) pour leur formidable travail bénévole de prospection et de suivi qui nous permet d’en connaître chaque année un peu plus sur ce fantastique rapace.

 

 

 

Julien Garric

 

Coordinateur du réseau Aigle Royal Ariège.

 

jgarric@wanadoo.fr

 

 

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